Au Canada, l’esclavage, qui remonte aux débuts de l’histoire coloniale, a perduré jusque dans la première moitié du XIXe siècle.
Or, on a souvent l’impression qu’en Amérique du Nord, cette pratique se limitait aux États-Unis. Nous avons déjà parlé du manque de conscientisation sur ce sujet : dans notre article de blogue L’histoire des Noirs mérite bien plus qu’un simple mois, nous soulignions que, trop souvent, les Canadiennes et les Canadiens mettent leur vigilance en veilleuse face au racisme, même si les conséquences intergénérationnelles et les injustices associées à ce problème sont bien connues. Notre publication L’esclavage au Canada, qui est rédigée par l’historien et artiste hip-hop québécois Webster, raconte l’histoire méconnue de cette pratique dans notre pays.
C’est lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’abolition de l’esclavage, le 1er août 1834, qu’on a enfin aboli cette pratique partout dans l’Empire britannique. Dans les décennies suivantes, on a commencé à souligner le jour de l’Émancipation le 1er août dans quelques villes canadiennes comme Owen Sound, dans le sud de l’Ontario, où cette journée est célébrée depuis 160 ans.
Cette année, pour la première fois, cette journée sera reconnue au niveau fédéral. En effet, le 24 mars 2021, une motion confirmant l’adoption de cette journée partout au Canada a été appuyée à l’unanimité à la Chambre des communes, en grande partie grâce au travail de la sénatrice Wanda Thomas Bernard, du Groupe canado-africain du Sénat, et de membres de la communauté comme Rosemary Sadlier, qui a commencé à militer en ce sens en 1995. Cette décision s’inscrit par ailleurs dans la reconnaissance par le Canada, en 2018, de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine décrétée par l’Organisation des Nations Unies, qui propose une plateforme de lutte contre le racisme anti-Noirs.
Selon la sénatrice Thomas Bernard, la reconnaissance est essentielle au processus de guérison des Afro-Canadiens : « Notre histoire a été effacée à répétition. Pour les dépouiller de leur identité, des Africains asservis se sont vus enlever leur nom. Après l’émancipation, notre histoire a continué d’être effacée par des méthodes de ségrégation, de meurtre et de marginalisation systémique. »
Au-delà de la reconnaissance
Il est cependant important de signaler le risque inhérent à ce type d’événement : en soulignant une quelconque journée, on n’adopte pas forcément une position active. Pour obtenir de véritables progrès, il faut plus qu’une simple reconnaissance tacite des Canadiens et du gouvernement. C’est une chose de réfléchir à un moment honteux de notre histoire, mais c’en est une autre d’agir concrètement pour réparer ces actions.
Au-delà de la reconnaissance d’une page sombre de notre histoire, le jour de l’Émancipation encourage les Canadiennes et les Canadiens à réfléchir aux conséquences profondes de l’esclavage au Canada, à reconnaître que le vécu des Canadiens noirs fait partie de notre histoire et de notre héritage collectif, et à donner lieu à des échanges et à des publications qui profiteront à toutes les parties.
Cette journée est aussi l’occasion de célébrer la culture et l’apport des Afro-Canadiens. Le Toronto Caribbean Carnival a par exemple d’abord été créé pour marquer le jour de l’Émancipation, mais c’est aujourd’hui une fête animée et très attendue où l’on célèbre le patrimoine vivant des peuples caribéens. La Nouvelle-Écosse soulignera aussi la journée cette année, et de nombreux événements sont prévus à Halifax.
Dans ses réflexions sur la créativité artistique de la diaspora africaine, Mark V. Campbell propose d’autres idées pour souligner cette journée de façon active. Selon lui, dans le contexte où cette créativité découle de la traite transatlantique d’esclaves, c’est bien plus qu’une simple expression culturelle : c’est aussi une méthode et un système de connaissances conçus pour sauver des vies, humaniser les gens et proposer à l’humanité des manières novatrices d’exister face au racisme systémique. Il est important de s’efforcer de comprendre ces liens, et d’apprécier pleinement ce que cet art implique et préserve.
Briser le silence
Le projet La route de l’esclave de l’UNESCO est une autre initiative visant à mettre en lumière les effets qu’a eu l’esclavage sur tous les continents et les perturbations en ayant découlé, qui ont façonné nos sociétés modernes.
Ce projet repose sur l’idée que l’ignorance et la dissimulation d’événements historiques majeurs nuisent à la compréhension mutuelle, à la réconciliation et à la coopération entre les peuples. Il s’efforce de sortir l’esclavage de l’ombre pour faire mieux comprendre les répercussions de cette réalité en Afrique, en Europe, en Asie, au Moyen-Orient, dans les Amériques, dans les Caraïbes et dans la région de l’océan Indien. Ce projet contribue à une culture de la paix en invitant les gens à réfléchir à des concepts comme l’inclusion, le plurialisme, le dialogue interculturel et la construction de nouvelles identités et citoyennetés.
Le jour de l’Émancipation est l’occasion de penser à notre avenir et à notre place dans le monde. Comme l’indique Ricardo Lamour dans son article rédigé pour Ricochet, Que signifie pour vous le 1er août?, cette journée invite les Canadiens à penser sérieusement à la manière dont les politiques étrangères du Canada ont directement contribué aux conditions associées à ce qu’il appelle un « exode prémédité ou précipité » de populations noires.
En résumé, le jour de l’Émancipation a pour objectif de susciter une véritable empathie chez tous les Canadiennes et les Canadiens, et de les motiver à s’informer et à dénoncer les injustices – historiques et actuelles – vécues par des générations entières de personnes noires.
À l’occasion de cette journée, comment comptez-vous contribuer aux efforts menés pour reconnaître les torts de l’esclavage partout dans le monde?