La radio communautaire :
printemps éternel de la radiodiffusion
11 février 2021
Il s’est écoulé depuis le 20 mai 1920, cent ans de radiodiffusion au Canada. Maintes fois menacée de disparition, la radio est demeurée invaincue. La radio communautaire, associative, étudiante et de campus, survit, renaît, mue et se développe.
Elle confirme sa présence dans un univers médiatique en pleine mutation. Les opportunités numériques et une nouvelle économie des médias de masse n’ont pas su la ralentir. Au contraire. Près de 550 000 Canadiens écoutent la radio communautaire chaque jour selon une étude réalisée en 2017, par la firme Nanos Research.
On dénombre près de 200 radios communautaires et de campus au Canada, membres de la National Campus and Community Radio Association, de l’Alliance des radios communautaires du Canada et de l’Association des radios communautaires du Québec. Multilingues, anglophones, francophones ou autochtones, elles offrent une voix et des antennes aux cultures qu’elles portent. Et elles arborent des profils variés. Certaines disposent de maigres revenus annuels avoisinant les 5 000 $. C’est le cas de CJUC-FM à Whitehorse au Yukon et de CHBB-FM à Norris Point à Terre-Neuve. D’autres subsistent avec des revenus annuels variant entre 20 000 $ et 60 000 $ et des équipes de 40 bénévoles. Et au haut de l’échelle, dans les démographies de plus d’un million de personnes, la radio de type City U-FM vit avec un budget de 600 000 $ et jouit d’une force vive de 265 bénévoles.
La force de ses artisans
Sans l’apport de ses artisans, de ses employés sous-payés et d’une armada de bénévoles, les radios communautaires au pays ne pourraient jamais survivre. Ces bénévoles sont le facteur X de la radiodiffusion associative. Des radios soufflent comme un printemps perpétuel sur toute l’industrie de la radiodiffusion canadienne et mondiale. De nouvelles antennes hertziennes se hissent encore au Canada et dans le monde, en dépit des difficultés économiques et d’un manque flagrant de ressources. Car ses artisans sont animés d’une profonde passion pour le médium. Ils nourrissent la culture et les sous-cultures canadiennes, offrent une voix à ceux qui n’en ont pas. Littérature, théâtre, musiques émergentes et actuelles, bande dessinée, actualité et information municipale, politique internationale, mouvements démocratiques et sociaux ; les hommes et femmes de la radio communautaire portent à bout de bras une part de notre tissu social et une économie alternative des médias.
Le défi de la numérisation de la radio
Cette diversité d’approches et de modèles démontre qu’on peut faire de la radio où que l’on soit et peu importe nos moyens. Dans plusieurs pays, la radio a bien intégré les nouveaux paradigmes et canaux de diffusion. Ceux qui devaient, disait-on, accélérer sa chute. Si le balado se fait encore plus économe que la radio, l’instantanéité lui fait en revanche défaut. La radio hertzienne a rapidement intégré le balado, la lecture en continu et les retransmissions Facebook Live à ses modèles de diffusion. Elle s’offre ainsi des publics en direct et en différé : celui du hertzien, des médias sociaux, du balado et du web. Elle est tantôt radio ou web, parfois application audio et balado ou télévision. C’est le cas de CHOQ.ca, la radio de l’Université du Québec à Montréal, de Lot Radio de Brooklyn à New York, ou de Resonance FM au Royaume-Uni. Dans certains cas, on est confiné à son studio. Ailleurs, on diffuse de la maison ou d’un balcon de Miami ou d’un club de Moscou. Les radios parlées communautaires et universitaires s’adaptent pour rejoindre leurs publics. Les soirées d’écoute publiques redeviennent à la mode dans des créneaux surtout liés aux arts radiophoniques. Un peu comme on le faisait aux débuts de la radio où, depuis un salon, on se rassemblait autour d’un poste pour écouter un concert ou un théâtre radiophonique, ou pour prendre des nouvelles du front.
De profondes transformations guettent encore le médium radio, dans certaines régions du monde du moins. Les 15 prochaines années seront déterminantes. La Norvège nous en révèle les contours. Ce pays a tout récemment complètement abandonné ses diffusions radiophoniques hertziennes à la faveur du DAB (Digital Audio Broadcasting, radiodiffusion numérique en français). Le Royaume-Uni devait emboîter le pas, mais a finalement reporté cette transition pourtant très attendue, à l’an 2032. Peu de pays, y compris le Canada, ont véritablement réfléchi à l’impact qu’aurait un tel passage à la numérisation des ondes. Au Canada, comme en Amérique du Nord, il y a peu de chances qu’on se convertisse à notre tour au Dab. L’armée américaine en utilise les fréquences. Ici, on envisage d’autres standards tels que la radio HD ou le DRM (Digital Radio Mondiale). Imaginons un instant que toutes les radios canadiennes soient accessibles où que l’on soit au pays avec un seul récepteur. Que de Montréal on puisse écouter Moncton, Iqaluit, Vancouver ou Ottawa. Et peu importe la nature de la station qu’on affectionne. C’est ce qui se passe en Norvège. Le balado et la lecture en continu ne sont donc pas les seules nouveautés appelées à transformer les modèles de radiodiffusion et leurs marchés. Les nouvelles techniques de radiodiffusion provoqueront de profondes mutations, même encore plus que le balado, un outil et canal de diffusion que la radio a d’ailleurs déjà bien intégré. Un peu comme la télévision généraliste l’a fait depuis l’avènement de la télévision spécialisée et des diffuseurs numériques.
L’économie des médias vit elle aussi de profondes mutations. Si certaines radios souffrent d’une baisse chronique de leurs revenus publicitaires, comme c’est le cas pour les médias écrits, d’autres se lancent malgré tout dans la mêlée. La radio privée WKND 99,5 lancée en 2020 à Montréal en est un bon exemple. La radio communautaire CINB-FM du Nouveau-Brunswick lancée en 2019 aussi. Et de nouvelles radios communautaires prennent les ondes sans s’inquiéter outre mesure des tourments qui les guettent. Une étude, publiée en 2020 par l’Association canadienne des radiodiffuseurs, laquelle regroupe une bonne partie des radios privées au pays, prédit que 200 radios canadiennes pourraient mettre la clé sous la porte face à une baisse de revenus évaluée à 1,06 milliard de dollars pour la télé et la radio combinée. Les plus vulnérables seraient des radios AM et les stations privées indépendantes. C’est aussi une mauvaise nouvelle pour le Fonds canadien de la radio communautaire, financé à même les revenus des radios privées et aussi par l’Initiative de journalisme local du ministère du Patrimoine canadien.
Le pluralisme des voix
La radio communautaire est l’instrument privilégié pour faire entendre une pluralité d’opinions et de perspectives. Ses artisans se font les porte-étendards de toutes les sous-cultures et des voix trop souvent marginalisées. Ils se font les porte-voix de sujets, de contenus et de formats radiophoniques peu usuels. Des artisans qui plus tard, par leurs idées nouvelles, intentions radiophoniques et manières de faire, feront tache dans les médias traditionnels. On en parle longuement dans la conférence « Promoting Pluralism, Amplifying Local Voices: Community Radio in North America » diffusée sur YouTube par la Chaire UNESCO sur les médias communautaires. La radio locale a certainement contribué à la protection et à la promotion des langues et cultures autochtones au Canada et dans les luttes démocratiques. Prenons pour exemple l’émergence des radios communautaires en Afrique. Elles ont « libéré la parole paysanne dans les zones défavorisées, surtout les campagnes. Les radios communautaires ont un impact certain en matière de démocratisation de la communication, d’accès à la citoyenneté et au développement ». D’autres servent de remparts contre la désinformation dans un contexte pandémique et de polarisation politique. À ce chapitre, citons l’émission Democracy Now produite aux États-Unis, diffusée dans plusieurs pays, dont au Canada. Tous ces groupes d’opinion, toutes ces voix façonnent le discours public.
La radio communautaire offre à ses artisans un lieu où ils peuvent prendre librement la parole, présenter un autre regard sur l’actualité locale, nationale et internationale. Et certainement en combler les écueils, inévitables. Car la radio communautaire, associative, étudiante est avant tout un lieu d’expression et de création. La jeunesse de ses artisans et la proximité de ses publics, lui confère un avantage indéniable. Et son adhésion aux nouveaux moyens et canaux de diffusion se fait tout naturellement, d’autant qu’ils sont souvent moins lourds à porter que ceux liés à la diffusion hertzienne ou numérique.
La Journée mondiale de la radio des Nations Unies souligne à chaque 13 février, le fait que la radio célèbre « l’humanité dans toute sa diversité ». Qu’elle est la rampe de lancement « du débat démocratique, l’arène où toutes les voix peuvent s’exprimer, être représentées et entendues ». Et gratuitement, sauf exception, pour tous les publics. Le projet de 60 Secondes Radio n’a pas choisi cette date au hasard pour y retrouver sa communauté.
Les défis et l’espoir pour le secteur
Bien sûr, plusieurs ont baissé les bras. Il y a quelques années seulement, les antennes nationales et internationales de Radio-Canada International (RCI) ont été démantelées après plus de 67 ans d’existence. Et en 2020, on annonçait une nouvelle ronde de coupes au sein de RCI. Des radios communautaires ont perdu leur fréquence, alors que d’autres sont réduites à leur plus simple expression. Toutefois, ailleurs dans le monde, la radio de proximité, communautaire, associative, tient le coup, prend du mieux, milite pour sa survie. Les exemples fusent. Le Conseil du comté de Rutland au Royaume-Uni songe à lancer une radio communautaire dans le comté. Le constructeur automobile Audi a intégré en 2020 un sélecteur radio hybride (DAB, Am, Fm et web) dans certains de ses modèles.
De nombreuses organisations représentant les radios locales restent des voix fortes pour le secteur. Soulignons à ce titre le rôle que joue la National Federation of Community Broadcasters aux États-Unis, qui regroupe près de 300 stations dont plusieurs en milieu rural. L’organisation leur donne une voix et intervient notamment en matière de politiques publiques. L’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires agit aussi en ce sens. Elle est depuis des décennies, une force pour la radio communautaire, locale et associative mondiale. Elle se met au service d’un mouvement qui regroupe 4 000 membres et associés dans 150 pays. Elle « contribue au développement de la radio communautaire et participative, à promouvoir les principes de solidarité et de coopération internationale. Et elle soutient ses artisans, dans des pays où la démocratie est souvent plus que fragile ».
Conclusion
La radio demeure plus pertinente que jamais, peu importe la forme qu’elle revêt et les canaux de diffusion analogiques ou numériques qu’elle emprunte. Elle est encore seule, avec la télévision hertzienne, à ne nécessiter aucun abonnement numérique. Elle est directe. Mais la radio, à l’instar des médias de masse, est encore loin d’être arrivée au bout des transformations qui la guettent. Et nous en serons les témoins, tout comme ceux qui ont pu entendre, il y a 100 ans, la première diffusion radio canadienne mise en ondes depuis l’immeuble de la Marconi Wireless à Montréal. Qui aurait alors imaginé, ce qu’elle est devenue aujourd’hui? Dans cent ans, on dira de même.
Auteur
Depuis 25 ans, Boris Chassagne porte différents chapeaux dans le milieu médiatique : journaliste, réalisateur et animateur. Dans les années 1990, il fonde et dirige l’Association des créateurs radiophoniques indépendants du Québec et les Éditions du Studio des Lettres. Depuis 2015, il est directeur de 60 Secondes Radio, un concours international d’art radiophonique. Il est aujourd’hui journaliste chez ICI Médias.