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Montréal, paysages en confinement


18 décembre 2020

Une peinture abstraite composée de diverses formes et lines. Les couleurs suivantes sont utilisées sur la toile: noir, bleu, bleu pâle, blanc, orangé, rouge et gris.

En réponse à l’appel aux bonnes initiatives des villes du réseau Coalition internationale des villes inclusives et durables de l’UNESCO en mars 2020, la Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal (CUPUM) a initié une réflexion sur l’impact de la COVID-19 sur les espaces publics à Montréal. L’objectif de celle-ci était de documenter les actions mises en œuvre dans la phase de confinement montréalais (du 13 mars au 16 mai 2020) et certaines représentations paysagères vis-à-vis de ce territoire urbain.

Cette analyse repose sur un balisage d’informations. Elle a permis de tirer des constats sur les espaces publics du paysage urbain1 montréalais (réf. : rue, parc, artère commerciale, trottoir, piste cyclable, métro, etc.) où se cristallisent les enjeux du confinement de la COVID-19 à partir des préoccupations journalistiques, celles de certains organismes à but non lucratif pertinents envers le sujet et celles émises par le milieu municipal dans cette phase de confinement. Cette réflexion a également été l’occasion d’interpréter le regard de photographes de presse et professionnels envers l’espace public montréalais.

La valorisation de l’espace public; enjeux de mobilité, de proximité et d’itinérance

Les résultats issus du premier volet d’analyse ont cerné l’importance des enjeux reliés aux modes de vie et l’aménagement urbain et de caractériser et de spatialiser (cartographier) les préoccupations publiques et sociales envers l’espace public tout comme d’identifier les mots dominants utilisés pour qualifier la population montréalaise interpellée durant le confinement de la COVID-19. De plus, cette analyse a révélé un intérêt très marqué pour l’espace public. La « rue » et le « parc public » constituent les deux principaux attributs du paysage urbain2. Également, l’émergence de nouveaux attributs, soit le « corridor sanitaire » et les « voies actives sécuritaires » qui ont marqué l’aménagement de l’espace urbain montréalais.

Ces attributs urbains renvoient à la question de la mobilité montréalaise durant cette crise sanitaire. Cette période a favorisé la « mobilité douce » (renommée par les médias « mobilité lente ») auprès des Montréalais en raison du ralentissement des flux automobiles, généré par le télétravail et la difficile gestion des transports en commun. Le « vélo » et la « marche » ont rapidement gagné en popularité à Montréal et la municipalité semble avoir saisi l’opportunité de cette crise sanitaire pour élargir son réseau de pistes cyclables. Par ailleurs, le qualificatif le plus souvent utilisé pour décrire l’« Homo urbanus montréalais » est sans nul doute « le piéton ». Ce constat confirme l’intérêt accordé à la mobilité douce et surtout de l’importance de vivre l’espace public extérieur en cette période de crise sanitaire. De leur côté, la rue et le parc de quartier semblent avoir joué un rôle d’antidotes durant cette période de confinement montréalais confirmant ainsi l’enjeu du paysage de proximité.

Sur d’autres considérations, la veille informationnelle a soulevé une grande préoccupation envers la population itinérante montréalaise et les problèmes de vie et d’accueil de celle-ci dans les espaces publics. Ces lieux se sont adaptés au fil du confinement par la mise en place de « centres de jour », « centres d’hébergement d’urgence » et de « haltes-répit ».

Voie active sécuritaire sur l'avenue Christophe-Colomb, Rosemont-La-Petite-Patrie — Montréal
Photo: Emmanuel Beaudry-Marchand — CUPUM — mai 2020

Le confinement, une figure paysagère triste et sublimante de la ville

L’analyse des regards photographiques réalisée dans le deuxième pan de la réflexion, soit les cadrages visuels de l’espace public montréalais captés par des photographes, livre des constats très intéressants sur l’expérience paysagère urbaine en mode confinement. Contrairement aux photographies qui ont documenté les scènes urbaines quotidiennes animées, chaleureuses et actives à travers l’histoire, le confinement montréalais présente une figure triste de la ville. L’animation urbaine est exempte des cadrages photographiques montréalais. La ville n’est plus la vie comme le rapportent actuellement les cadrages photographiques de plusieurs villes européennes en état de couvre-feu dans la deuxième vague de la pandémie.

L’urbain montréalais révèle ainsi un simple (et parfois majestueux) décor architectural et urbanistique sans acteur. Malgré la présence importante de la lumière, les photographes ont dépeint Montréal comme une ville « solitaire », « froide » et « figée ». Ce constat est d’autant omniprésent que le confinement montréalais prenait place dans un entre-deux saisonnier nordique et aride (hivers/printemps). Cependant, l’interprétation de ces cadrages a dévoilé des « expressions sublimées »3, ennoblies de la ville en mode confinement. Ainsi, la crise sanitaire de la COVID-19 a démontré la force et la singularité des architectures montréalaises (des passages et des façades de bâtiments) et des espaces souterrains sous la lumière crue des éclairages naturels et artificiels. Ce confinement a transcendé le beau dans la ville, soit les vues attendues4, équilibrées par ces formes et rassurantes par ses ambiances urbaines connues de vie, de couleurs et de chaleur. Cette interprétation photographique a également rapporté des expressions et impressions paysagères5 où le regard envers l’espace de proximité est fragmentaire tout en étant fermé sur lui-même et épris de solitude.

Angles des rues de la Gauchetière et Mansfield, Arrondissement Ville-Marie — Montréal
Photo: Emmanel Beaudry-Marchand — CUPUM — mai 2020

En guise de conclusion

Cette réflexion a permis de relever les principaux enjeux et les mesures engagés à Montréal lors de la phase de son confinement au printemps 2020. Cette documentation montréalaise sur les espaces publics et leur interprétation sociale et culturelle nous livre un portrait global des enjeux du paysage urbain montréalais avec les limites d’une analyse de veille informationnelle qui ne peut qu’être partielle face au vécu d’une population et d’une société en crise sanitaire. Il s’agit d’un aperçu qui souligne les principales préoccupations sociales et politiques d’une urbanité en confinement. Elle nous a livré des indices pour promouvoir de nouvelles réflexions et actions sur la ville et appréhender la deuxième vague de cette pandémie. Ainsi, elle amène à nous interroger sur l’impact économique, social, culturel et environnemental d’un confinement urbain tout comme la viabilité des mesures post-confinement de la COVID-19 dans les espaces publics montréalais qui semblent s’engager vers une ère post-hygiéniste. Comment peut-on favoriser et rendre accessible à tous, la nature et le grand air en ville ? Comment doit-on réinventer l’espace de vie publique et privée (transitoire ou non); la rue, les trottoirs, les parcs, les aires de jeux, l’habitat domiciliaire, les commerces, les lieux de travail, les quartiers ? Comment faut-il repenser le centre-ville pour en conserver sa vitalité sociale, culturelle et économique ? Comment réaménage-t-on les lieux de rencontre et de rassemblement pour sauvegarder la culture en ville ? Quels seront les contours d’une convivialité urbaine soucieuse des uns et des autres ? Et plus largement, comment va-t-on repenser le devenir durable des villes face aux défis convergents (sanitaires, environnementaux, sociaux, etc.) auxquels elles sont confrontées en ce début de siècle ?

Homme à vélo dans la zone central — São Paulo
Photo: Danilo Apoena — novembre 2020
File d'attente dans la zone centrale — São Paulo
Photo: Danilo Apoena — novembre 2020

Dans la foulée de notre réflexion sur le confinement montréalais et pour compléter celle-ci nous avons interpellé certains membres de notre réseau international de coopération scientifique. Les réponses de ses experts des villes de Fès, de Mexico, de Montréal, de Paris, de Rome, de Sao Paulo, de Tokyo et de Tunis que nous avons colligées auprès d’eux apportent un éclairage complémentaire aux constats de notre réflexion montréalaise. Leurs propos révèlent des singularités et de profondes similitudes face à cette crise sanitaire. Les enjeux rapportés par ces experts interpellent les problèmes liés à la densité urbaine, à l’isolation et aux inégalités sociales, à la détresse psychologique et au bien-être urbain, à l’acceptabilité des mesures sanitaires par les populations, à l’exode des métropoles, etc. tout en constatant des attitudes de résilience, de solidarité spontanée, d’entraide et d’appropriation des nouveaux espaces publics par les populations notamment à l’échelle des quartiers. Ces experts ciblent des nécessités comme celles de mettre en œuvre des systèmes d’aide sociale, de soutien psychologique, de repenser la planification territoriale pour favoriser le voisinage, la mixité et l’interaction sociale, les services de proximité, la mobilité douce, la proximité et les liens expérientiels avec la nature en plus de réinventer les espaces publics pour favoriser leurs réappropriations sociales. Plusieurs des points de vue expriment également l’importance de repenser la ville à travers l’idée de paysage, soit un milieu urbain qui porte l’expérience d’une échelle humaine et d’une nature accessible qui exprime notamment des valeurs d’appartenance, de bienveillance, de solidarité, d’équité sociale.

Cette réflexion montréalaise et ces propos internationaux confirmeraient ainsi l’importance de l’enjeu du « paysage urbain matériel et immatériel » qui serait synonyme d’une urbanité inclusive et durable. Dans un contexte de crise sanitaire, une telle perspective contribuerait avant tout au bien-être6 et à la qualité de vie des populations urbaines.

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Références

1. Dans le cadre de cette réflexion, le paysage urbain est défini comme étant un concept de qualification sociale et culturelle d’un territoire urbain par le regard ; un regard investi de sens, d’expressions et de valeurs individuelles et collectives (environnementales, sociales, esthétiques, patrimoniales, économiques, etc.) in POULLAOUEC-GONIDEC, Philippe (2003). « Les cultures du paysage » in Traité de la Culture, Institut québécois de la recherche sur la culture, Édition de l’IQRC (Institut québécois de la recherche sur la culture), p. 643-660.

2. Les attributs du paysage urbain sont les constituants physiques de l’espace public, soit les termes identifiables pour décrire un milieu urbain.

3. Les expressions sublimées renvoient à l’expérience irréelle d’un paysage urbain où l’étrangeté, le vide, la froideur, etc. en constituent les qualités esthétiques.

4. À titre d’exemples, les vues attendues se réfèrent à l’expérience visuelle qu’offre la ville soit par sa topographie, la hauteur de ses architectures, ses panoramas, ses belvédères, etc.

5. Voir le schéma sur l’identité visuelle des paysages montréalais : http://covid19.unesco-paysage.umontreal.ca/#/experience-paysagere (réf. : POULLAOUEC-GONIDEC, Philippe et S. PAQUETTE (2005), « Des paysages de l’urbain » in POULLAOUEC-GONIDEC, Philippe., Gérald DOMON, et Sylvain PAQUETTE (Dirs.), Paysages en perspective, Édition Les Presses de l’Université de Montréal, Série « Paysages », p. 275-318).

6. Voir à ce propos : POULLAOUEC-GONIDEC, Philippe (2020), « Bien-être et paysage, perspectives montréalaises » in Capuano Alessandra (Dir.), Style de vie et ville du futur, Éditions Quodlibet (Italie).

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Auteur

Philippe Poullaouec-Gonidec, professeur émérite et titulaire de la Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal – CUPUM

Notes : L’auteur tient à remercier Chloé Lévesque (auxiliaire de recherche), Emmanuel Beaudry-Marchand (agent de recherche), Sylvain Paquette (chercheur associé — CUMPUM) et les partenaires scientifiques internationaux de la CUPUM pour leur apport scientifique dans la réalisation de la recherche « Montréal/paysage en confinement – 16 mars/16 mai 2020 – Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal ». L’auteur est également reconnaissant du haut patronage de la Commission canadienne pour l’UNESCO (CCUNESCO) et du Secteur des Sciences sociales et humaines de l’UNESCO pour cette initiative de recherche qui a bénéficié de leur précieux soutien.