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Reconnaissance, justice et développement:

la promesse de la diplomatie des Noirs et du Forum permanent pour les personnes d'ascendance africaine

Le 30 mai 2023

Le drapeau des Nations Unies
Photo: Alexandros Michailidis/Shutterstock

La Décennie des personnes d’ascendance africaine proclamée par les Nations Unies (2015-2024) offre une occasion de s’engager collectivement à faire progresser la reconnaissance, la justice et le développement des peuples noirs dans le monde. Il s’agit d’un appel à l’action lancé par 193 États (pays) membres des Nations Unies pour prendre des mesures intentionnelles en vue de reconnaître les conditions institutionnelles et sociétales historiques et actuelles qui perpétuent la violence, l’exclusion et la privation des droits des personnes d’ascendance africaine.

Au-delà de la reconnaissance de ces maux de société, la Décennie réclamait que la délimitation de la justice constitue un cadre d’évaluation pour remédier aux enjeux systémiques pour les personnes d’ascendance africaine. Si la réforme de la justice pénale est l’une des exigences les plus pressantes en matière de justice sociale – comme en témoignent les nombreux exemples de brutalité policière et de profilage racial rapportés par les médias –, d’autres aspects de la justice doivent également subir une transformation et une réforme innovantes.

La justice législative est l’obligation pour les intervenants des politiques publiques d’utiliser les instruments de prise de décision publics pour adopter des politiques, des cadres réglementaires et des mécanismes de mise en pratique axés sur la lutte contre le racisme, la discrimination et la marginalisation systémiques que subissent depuis trop longtemps les personnes noires.

La justice économique consiste à relever les obstacles à la stabilité et au bien-être économiques auxquels sont confrontées les communautés noires, tels que l’accès inéquitable aux produits de crédit dans les institutions financières sous réglementation fédérale, la surreprésentation dans les secteurs qui perpétuent de manière généralisée le travail précaire et l’instabilité du revenu, et l’impossibilité d’accéder à la propriété. Dans ce contexte, la justice économique exige une révision et une reconstruction complètes des systèmes et des processus pour non seulement reconnaître où se situent les obstacles à une participation efficace et équitable, mais aussi pour travailler activement à leur démantèlement de manière à produire des résultats mesurables à court, moyen et long terme.

Il ne reste qu’un an à la Décennie des personnes d’ascendance africaine, et malgré tout, les actions visant à obtenir des résultats plus équitables mettent du temps à prendre de l'ampleur pour avoir un impact durable. C’est pour ces raisons que la création du Forum permanent pour les personnes d’ascendance africaine est si importante. L’adoption à l’unanimité du Forum permanent par l’Assemblée générale des Nations Unies, le 2 août 2021, indique qu’il est absolument vital de poursuivre les efforts dans l’immédiat, à court et à long terme, pour reconnaître et protéger les droits des personnes d’ascendance africaine.

Avec la création du Forum permanent dans le cadre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, les pays, les gouvernements, les organismes à but non lucratif, les universités et les sociétés civiles peuvent continuer à œuvrer collectivement pour faire respecter les droits de la personne, l’équité et la justice pour les personnes d’ascendance africaine dans le monde. C’est l’occasion pour les personnes d’ascendance africaine de voir la conclusion de la Décennie comme le début d’une nouvelle ère pour prendre des mesures précises pour notre développement holistique.

Dans ce contexte, le développement exige une approche réfléchie en ce qui concerne la reconnaissance des violations nuancées des droits dont les personnes d’ascendance africaine ont été et continuent d’être victimes. Il ne faut également pas manquer d’appliquer la justice dans tous ses cadres définitifs.

Grâce à la création du Forum permanent, les dirigeants noirs du monde entier peuvent continuer à occuper et à faire leur place au moyen de la diplomatie des Noirs (Black diplomacy), qui est une initiative clé de l’organisme Developing Young Leaders of Tomorrow Today (en anglais), que j’ai fondé. Je la définis comme « l’utilisation par les communautés noires de nos expériences vécues pour évoluer au sein de systèmes, d’institutions et de cadres politiques qui ont été conçus sans prendre en compte nos perspectives de façon significative ».

J’ai assisté à l’assemblée inaugurale du Forum permanent en décembre 2022. Le poids de l’expérience des Noirs de diverses régions du monde en matière de traumatismes historiques était palpable dans les récits entendus à Genève. Pourtant, malgré cette lutte de longue haleine, nous pouvions sentir un regain d’optimisme et d’espoir face aux efforts de justice sociale, possibles grâce à la mise en place d’une institution forte créée pour nous et par nous.

La Décennie des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies a marqué le début de la reconnaissance institutionnelle d’une diplomatie des Noirs. Maintenant, le Forum permanent représente la phase de mise en œuvre qui lie les appels à l’action nationaux et mondiaux à des mécanismes d’examen précis. La justice sociale a été activée à l’échelle mondiale et les communautés noires du monde entier surveillent la transition. Elles y participent afin d’améliorer les droits de la personne en matière de justice et de développement.

Les Objectifs de développement durable comme outil d’action

Les Objectifs de développement durable (ODD) constituent un mécanisme d’action mondial qui engage une responsabilisation collective et propose des objectifs mesurables à atteindre. Les ODD intègrent inévitablement les thèmes de la reconnaissance, de la justice et du développement dans leurs principes directeurs. Voici comment la diplomatie des Noirs peut nous aider à comprendre certains des ODD :

  • Objectif 1 : Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde. L’éradication de la pauvreté est impossible si l’on ne s’attaque pas aux mécanismes qui perpétuent le cycle de la pauvreté. Ainsi, une approche systémique est nécessaire pour atténuer les conditions qui contribuent à l’existence de la pauvreté dans le monde. Grâce au Forum permanent pour les personnes d’ascendance africaine, il est possible de créer et de maintenir en place des moyens durables pour éradiquer le cycle de la pauvreté grâce à l’innovation, à l’esprit d’entreprise et à la collaboration parmi les communautés, les gouvernements et les entreprises.
  • Objectif 4 : Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. L’expérience des communautés noires au sein du système d’éducation continue à générer des inégalités. Le Forum permanent offre une nouvelle occasion de perfectionner l’éducation, la formation et le mentorat qui sont réfléchis et adaptés culturellement, tout en donnant aux jeunes Noirs les moyens de devenir des leaders et des champions auprès de nos aînés. L’UNESCO a manifestement un rôle important à jouer – et une occasion à saisir – dans le cadre de ces efforts.
  • Objectif 8 : Travail décent et croissance économique. Cet objectif a un lien direct avec la justice économique pour les personnes d’ascendance africaine. Il exige d’établir des priorités politiques qui défendent l’équité en matière d’emploi, l’élimination du travail précaire et la mise en place de mesures de sécurité économique durables pour faciliter l’accession à la propriété et les déterminants sociaux positifs de la santé.
  • Objectif 16 : Paix, justice et institutions efficaces. Comme pour l’objectif 8, l’objectif 16 s’intègre parfaitement aux buts principaux du Forum permanent basés sur la Décennie des personnes d’ascendance africaine. L’objectif consistant à « réduire nettement, partout dans le monde, toutes les formes de violence […], à mettre un terme à la maltraitance […] et à mettre en place des institutions efficaces, responsables et transparentes à tous les niveaux » est réalisable lorsque le système judiciaire tient compte de la représentation des communautés noires dans le processus décisionnel de la réforme de la justice pénale. Il faut également une compréhension nuancée de la manière dont le système judiciaire prend pour cible les communautés noires dans les plus hautes sphères décisionnelles.

Ces objectifs pourront être atteints grâce à des réformes législatives, économiques, environnementales et de justice pénale. Pour que la participation et les changements soient significatifs, les acteurs politiques, les militants et les défenseurs noirs doivent travailler en étroite collaboration avec leurs alliés.

Le Canada et la Décennie des personnes d’ascendance africaine

Dans le contexte canadien, les communautés noires sont toujours confrontées au racisme et à la discrimination, de manière flagrante ou plus subtile, dans nos systèmes et institutions. Le plus grand défi, ici au Canada, consiste à éviter l’attitude « Attendons pour voir » et les alliances hypocrites et de façade. Les grandes promesses ou les beaux discours prononcés lors de journées importantes donnent l’impression que nous sommes tous dans le même bateau, sans être engagés de façon significative pour changer la situation au niveau social et institutionnel.

Le Canada a franchi la phase de reconnaissance de la Décennie. Dès 2018, le Canada a fait des déclarations publiques sur l’importance de s’attaquer aux obstacles systémiques liés à la participation dans le cadre de la Décennie internationale. Ces déclarations publiques font suite à une évaluation des progrès réalisée en 2016 par le Groupe de travail d’experts sur la population d’ascendance africaine au Canada. À la lumière de ses conclusions, le groupe de travail a dressé une liste de recommandations à l’intention du gouvernement fédéral pour l’aider à faire progresser les droits des Canadiens noirs. La fonction publique fédérale a réalisé certains progrès précis à partir de ces recommandations, notamment avec la création d’un secrétariat fédéral de lutte contre le racisme, un appel à l’action du greffier du Bureau du Conseil privé et des directives pour les lettres de mandat des ministres fédéraux. 

Le Canada a fait un pas dans la bonne direction en 2021 en désignant le 1er août comme étant le Jour de l’émancipation. Pour nous, en tant que pays, le Jour de l’émancipation reconnaît également l’héritage du racisme et nous incite chaque année à poursuivre la réalisation des objectifs pour l’amélioration des droits des Canadiens noirs.

Pour le Canada, il reste à poursuivre le travail en matière de justice et de développement par des actions législatives, économiques et de justice sociale. Toutes les sphères de la société canadienne – des gouvernements au secteur privé en passant par les organismes communautaires – ont désormais la responsabilité de faciliter la pleine participation des communautés noires à la réalisation des droits de la personne et de la justice.

Essentiellement, avec l’adoption du Forum permanent pour les personnes d’ascendance africaine, les priorités des communautés noires au Canada consistent à assurer l’inclusion et la représentation intentionnelles là où les politiques sont élaborées, et d’assurer leur présence régulière à la table des décisions. Autrement dit, il faut une participation pleine et entière notamment aux forums sur les changements climatiques, aux sommets intergouvernementaux et aux conférences sur le développement économique, là où les questions concernant les droits de la personne ayant une incidence sur les communautés noires sont pleinement intégrées dans les discussions politiques générales et les mesures à prendre.

Le mandat du Forum permanent pour les personnes d’ascendance africaine est clair, et le Canada est maintenant dans une position délicate; il doit assurer la pleine réalisation des principes de reconnaissance, de justice et de développement pour les Canadiens noirs. Il y a beaucoup de travail à faire, et les défenseurs et activistes noirs sont prêts à retrousser leurs manches pour obtenir les résultats escomptés par le biais du Forum permanent. Nous sommes prêts à rencontrer les décideurs, les chefs d’entreprise et les dirigeants communautaires du Canada et du monde entier afin de travailler ensemble. Nous vous invitons à nous rencontrer, à devenir un allié, et ensemble, nous veillerons à ce que la promesse d’une inclusion et d’une appartenance intentionnelles, au bénéfice de tous, se réalise au-delà de 2024!

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Auteure

Candies Kotchapaw est la fondatrice et directrice exécutive de l’organisme Developing Young Leaders of Tomorrow, Today (DYLOTT) et a créé la Black Diplomats Academy. Elle est également présidente de Candies Kotchapaw Consulting. Au cours des cinq dernières années, Candies Kotchapaw a concentré ses efforts professionnels sur la conception de programmes axés sur des solutions permettant de surmonter les obstacles systémiques en milieu de travail, dans les secteurs public et privé. Elle applique habilement sa théorie de la pratique du travail social structurel pour analyser les politiques publiques, notamment celles en lien avec la Décennie des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies et le Forum permanent pour les personnes d’ascendance africaine. Elle s’est taillé une place en diplomatie publique en concevant et en offrant des programmes d’apprentissage par l’expérience testés et éprouvés qui mettent l’accent sur le talent des jeunes professionnels noirs, tout en consultant les hauts représentants du gouvernement fédéral sur les possibilités de renforcer la stratégie de diversité, d’équité et d’inclusion.