1. Accueil
  2. IdéesLab
  3. La culture comme catalyseur: les villes créatives de l'UNESCO au service du développement durable

La culture comme catalyseur : les villes créatives de l’UNESCO au service du développement durable

23 septembre 2025

Un groupe de personnes assises sur des chaises devant des bâtiments colorés.
Illustration par Spruce Creative Inc.

On attribue souvent au développement durable trois dimensions, qui sont d’ordre économique, environnemental et social. Or, le monde a commencé à lui reconnaître une quatrième dimension : la culture.

La culture et la créativité jouent des rôles clés dans l’avancement des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Partout sur la planète, les 350 villes créatives reconnues par l’UNESCO nous apprennent que tout, de la cuisine à la littérature, peut entraîner des changements positifs. En plaçant les industries culturelles au cœur de leurs stratégies d’urbanisme et de développement durable, les villes créatives nous montrent comment la culture peut générer des emplois, renforcer les liens communautaires, favoriser l’innovation et accélérer les progrès réalisés en vue des ODD.

L’UNESCO a lancé son Réseau des villes créatives en 2004 pour promouvoir la coopération avec et entre les villes qui considèrent la créativité comme un facteur stratégique pour le développement urbain durable. Aujourd’hui, il y a 350 villes créatives réparties dans plus d’une centaine de pays.

Le Réseau des villes créatives de l’UNESCO couvre huit domaines de création :

    • Architecture

    • Artisanat et arts populaires

    • Design

    • Film

    • Gastronomie

    • Littérature

    • Arts médiatiques

    • Musique

    La Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, adoptée par l’UNESCO en 1982, définit la culture comme « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, le mode de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». La culture « façonne les individus et les sociétés, en favorisant l’unité par le biais de valeurs et de traditions partagées » et peut aider les sociétés à faire face aux défis mondiaux tels que les conflits, les changements climatiques et les avancées technologiques.

    Cette définition englobante nous rappelle que la culture est plus qu’un secteur. C’est le fondement de l’identité, de la communauté et de la résilience. Cette observation reflète à la fois le défi que doivent relever les villes créatives et la promesse qu’elles représentent : comment peuvent-elles nourrir l’imagination, protéger les droits culturels et créer les conditions qui permettront à leurs populations de s’exprimer de façon créative tout au long de leur vie? Et que représente le succès éventuel des villes créatives pour le monde?

    Partout dans le monde, des communautés s’appuient sur la culture et la créativité pour devenir plus inclusives, résilientes et prospères. Par leurs politiques, leurs programmes et leurs partenariats, elles préservent leur patrimoine culturel tout en donnant forme à l’innovation et à la cohésion sociale. Leurs efforts prennent appui et s’alignent sur des cadres internationaux importants (dont les déclarations et les conventions de l’UNESCO), qui élèvent la culture au rang de quatrième dimension du développement durable.

    Depuis quelques décennies, la communauté internationale commence à reconnaître l’importance économique et sociale des secteurs culturel et créatif, qui génèrent aujourd’hui plus de 48 millions d’emplois à l’échelle mondiale. Ces secteurs sont de puissants moteurs d’équité, d’action environnementale, d’égalité entre les genres et de bien-être. En effet, dans les milieux urbains marqués par la diversité culturelle, les pratiques culturelles et les espaces de création peuvent favoriser l’inclusion sociale, le dialogue interculturel et l’engagement civique, surtout parmi les communautés vulnérables et marginalisées (en anglais).

    Entre la première Conférence MONDIACULT en 1982 et la Déclaration historique MONDIACULT 2022, adoptée quatre décennies plus tard, la culture est sortie de l’ombre pour occuper la place qui lui revient au cœur des programmes de développement mondial. Ce changement a donné lieu à de nouveaux engagements et à de nouveaux outils permettant aux villes, et plus particulièrement à celles qui font partie du Réseau des villes créatives de l’UNESCO, de s’appuyer sur la culture et la créativité pour faire avancer les progrès vers les ODD.

    La présente publication explore le rôle essentiel que jouent les villes créatives de l’UNESCO dans la réalisation des ODD. Elle analyse l’évolution des cadres juridiques et politiques internationaux qui contribuent à la protection des droits culturels et qui encadrent les stratégies de développement fondées sur la culture. Elle reflète également les priorités mondiales émergentes, de la transformation numérique aux changements climatiques, ainsi que les solutions que les villes y apportent.

    En guise d’inspiration, cette publication présente des exemples pratiques de trois villes créatives de l’UNESCO au Canada et de trois autres ailleurs dans le monde qui transforment la culture et la créativité en actions concrètes pour faire progresser les ODD.

    Comprendre le rôle du droit international

    Des villes partout sur la planète jouent un rôle de premier plan dans les efforts mondiaux pour atteindre les ODD. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

    Si les villes ont plus de pouvoir ces dernières années, c’est en partie parce que leurs populations ont augmenté. Aujourd’hui, environ 56 pour cent de la population de la planète vit dans un milieu urbain - une rupture importante avec les décennies passées, alors que la majorité vivait dans une communauté rurale ou de petite taille. Ce passage à la vie urbaine, combiné à la diversité culturelle apportée notamment par la migration, a pour effet d’amplifier les voix des villes sur la scène mondiale. Ce mouvement se fait particulièrement remarquer dans des régions comme l’Asie et l’Afrique, où les villes offrent de meilleures perspectives économiques, éducatives et en matière de soins de santé. Selon les projections des Nations Unies (en anglais), environ 68 pour cent de la population mondiale vivra dans une région urbaine d’ici 2050.

    Or, l’influence grandissante des villes est également due à une série de normes internationales conclues au cours des dernières décennies, qui changent la façon dont nous percevons leur potentiel et leur pouvoir.

    En effet, un nombre croissant de normes internationales reconnaît le rôle essentiel des villes - et de leurs ressources culturelles - dans la création de sociétés inclusives et durables. Ces cadres mondiaux ne font pas que donner une légitimité ou établir des règles : ils donnent également aux villes les moyens d’innover, de protéger et de valoriser les savoirs locaux, et à façonner des avenirs plus résilients fondés sur la culture. Ils influencent même les outils, les sources de financement et les possibilités de collaboration dont disposent les villes.

    Partout dans le monde, ces cadres ont favorisé la reconnaissance de la culture comme élément central de l’identité locale et comme facteur clé de la vitalité urbaine.

    Ces norme permettent aux dirigeants locaux d’asseoir leur travail et de renforcer les arguments en faveur d’investissements dans la culture, ce qui aide à aligner les stratégies municipales sur les priorités mondiales. Par exemple, les villes investissent aujourd’hui de plus en plus dans des festivals, des événements culturels et des infrastructures qui ouvrent la voie grâce à leurs contributions au tourisme, au développement et au dialogue interculturel.

    Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 reflète cette reconnaissance de l’importance de la culture. En effet, selon l’ODD 11, la création de villes inclusives, sécuritaires, résilientes et durables doit s’accompagner d’efforts « de protection et de préservation du patrimoine culturel et naturel mondial ».

    Le rôle grandissant de la culture dans l’urbanisme a également été souligné à la conférence Habitat III de l’ONU à Quito (2016), où le Nouveau programme pour les villes a été adopté.

    Habitat III (en anglais) a été le premier sommet mondial de l’ONU à se tenir après l’adoption du Programme 2030 en 2015. À ce titre, il représentait une occasion unique de discuter de la manière dont les villes et les villages pourraient être planifiés et gérés afin de favoriser leur rôle de moteurs du développement durable et, par conséquent, leur capacité d’orienter la mise en œuvre d’objectifs mondiaux en matière de développement et de lutte contre les changements climatiques.

    Le Nouveau programme pour les villes promeut des modèles de gouvernance urbaine axés sur la personne qui intègrent la culture et le patrimoine dans les objectifs plus larges du développement durable. Il encourage également les villes à mobiliser leurs ressources culturelles pour réduire les inégalités, améliorer la qualité de vie et diminuer leur empreinte écologique.

    L’effet des instruments culturels de l’UNESCO sur les villes

    Les principaux instruments culturels de l’UNESCO ont contribué à renforcer la capacité et la volonté des villes à intégrer la culture dans le développement, à protéger les traditions des communautés et à promouvoir un accès équitable à l’expression créative. Par exemple :

    • La Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel reconnaît le rôle du patrimoine vivant - tel que les connaissances, pratiques, expressions et rituels transmis de génération en génération - dans la promotion de la cohésion sociale, de la créativité et de la résilience. Dans les villes, ce patrimoine est façonné aussi bien par les résidents de longue date que par les personnes nouvellement arrivées, dont les diverses traditions culturelles enrichissent le tissu urbain.

    • La Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles renforce la valeur du pluralisme culturel et d’un accès équitable à l’expression créative. Ces deux principes sont essentiels à un urbanisme inclusif et à la capacité des villes à prospérer dans l’économie créative. Cette convention a été le premier instrument contraignant à reconnaître, en droit international, la quatrième dimension du développement durable, à savoir la dimension culturelle (les trois autres étant les dimensions économique, sociale et environnementale). L’article 13 invite les Parties à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les échelons et dans tous les secteurs.

    • La Recommandation de 2011 concernant le paysage urbain historique offre une approche de l’aménagement centrée sur la personne et invite les villes à concilier la conservation du patrimoine avec les stratégies de développement urbain, en respectant les valeurs et les traditions uniques de chaque lieu. Le Comité du patrimoine mondial s’appuie sur cette recommandation pour promouvoir une approche globale de la gestion des zones urbaines historiques. Environ un tiers des sites du patrimoine mondial de l’UNESCO sont des centres urbains, ce qui reflète la complexité de concilier développement urbain et conservation du patrimoine.

    • La Recommandation de l’UNESCO concernant le paysage urbain historique et la Déclaration finale de MONDIACULT 2022 (plus de détails plus loin) ont souligné le rôle essentiel de la culture dans la création de villes durables, inclusives et résilientes.

    L’ensemble de ces cadres affirment que le développement urbain durable doit intégrer des éléments essentiels, comme l’accès à la vie culturelle pour tous et la protection du patrimoine.

    Par leur nature même, les environnements urbains rassemblent des populations diverses. Les habitants de longue date préservent les connaissances et les traditions locales alors que les personnes nouvellement arrivées de régions rurales ou d’autres pays apportent leurs propres pratiques culturelles. Ces formes de patrimoine vivant se chevauchent et, ensemble, façonnent l’identité en constante évolution d’une ville. 

    Cette diversité apporte toutefois son lot de défis. Les pressions urbaines, comme les pénuries de logements et le rythme rapide du développement, peuvent perturber les pratiques et la continuité culturelles. C’est pourquoi il est essentiel que les gouvernements locaux tiennent compte de l’inclusion culturelle dans leurs plans relatifs aux services sociaux, à l’éducation et à l’infrastructure. Ce faisant, ils protègent le patrimoine tout en créant les conditions nécessaires à des avenirs urbains plus inclusifs, résilients et durables.

     

    La Déclaration MONDIACULT 2022 : un tournant pour un développement fondé sur la culture

    Résultat de la Conférence mondiale de l’UNESCO sur les politiques culturelles et le développement durable – MONDIACULT 2022, la Déclaration MONDIACULT 2022 a marqué un tournant pour les politiques culturelles mondiales. Elle a consolidé des décennies de progrès et a établi une direction claire pour intégrer la culture de manière plus complète dans le développement durable, surtout à l’échelle locale.

    L’événement de 2022 a marqué le 40e anniversaire de la première conférence MONDIACULT, qui s’est tenue à Mexico en 1982. Cette dernière édition a rassemblé plus de 150 ministres et acteurs culturels de partout dans le monde, avec pour objectifs communs de renforcer le rôle de la culture dans le développement durable et de promouvoir la paix, la résilience et la solidarité. Les déléguées et délégués ont déclaré que la culture est un bien public mondial et un « objectif spécifique à part entière » dans le cadre du programme de développement mondial post -2030.

    Pour les dirigeantes et dirigeants des villes, la Déclaration MONDIACULT 2022 représente une opportunité majeure d’intégrer la culture dans les politiques en matière d’éducation, de santé, de travail, d’urbanisme et de tourisme, et bien plus encore.

    Faire le lien entre les instruments internationaux et des actions locales concrètes

    La Déclaration MONDIACULT 2022 est un document phare qui réaffirme le rôle central de la culture dans les agendas mondiaux de développement. Bien que cette déclaration ne soit pas juridiquement contraignante, elle revêt un poids politique et moral considérable, et encourage les gouvernements à intégrer la culture dans les politiques publiques et les cadres de développement.

    Il est important de souligner le rôle que la déclaration reconnaît à la culture et à la créativité dans le contexte du développement économique ou social. Loin d’être de simples commodités, elles constituent, au contraire, des éléments essentiels d’une approche holistique et centrée sur la personne humaine dans l’élaboration des politiques. Cette reconnaissance place le secteur culturel comme un acteur vital dans la réalisation des ODD.

    Trois principes clés de la Déclaration MONDIACULT 2022 : chacun a un rôle à jouer pour assurer la durabilité 

    La déclaration renforce plusieurs principes fondamentaux qui font écho aux instruments culturels existants de l’UNESCO et qui sont essentiels pour construire des sociétés inclusives, résilientes et durables. Toutefois, son appel à l’action ne s’adresse pas uniquement aux gouvernements nationaux. Les villes, en particulier celles faisant partie du Réseau des villes créatives de l’UNESCO, jouent un rôle clé dans la mise en pratique de ces principes.

    • Le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales, surtout eu égard aux droits culturels individuels et collectifs. Ceux-ci englobent des droits qui couvrent l’ensemble de la vie culturelle, du patrimoine aux industries créatives et, de plus en plus, l'environnement numérique. L’article 10 invite les gouvernements à mettre en place les conditions nécessaires pour garantir la pleine expression et la protection des droits culturels.

    • L’interdépendance des dimensions économique, sociale, environnementale et culturelle du développement durable. La déclaration appelle les États membres à intégrer systématiquement la culture dans les stratégies de développement nationales et locales, de même que dans les cadres globaux utilisés par les programmes et agences de développement internationaux.

    • La participation. La déclaration souligne que les politiques culturelles inclusives doivent être co-construites avec une diversité d’acteurs, non seulement les gouvernements et les agences publiques, mais aussi les autorités locales, les groupes communautaires et les professionnelles et professionnels de la culture. Cette approche collaborative valorise la créativité et les ressources présentes au sein des communautés, et souligne l’importance d’une responsabilité partagée pour un développement culturel durable.

    Ces trois principes illustrent un tournant général vers l’élaboration de politiques centrées sur la culture et réaffirment la place de la culture comme quatrième dimension du développement durable (en anglais), au même titre que les dimensions économique, sociale et environnementale.

    Relier la culture aux politiques publiques et aux ODD

    La Déclaration MONDIACULT 2022 souligne la nécessité d’intégrer la culture dans tous les domaines de politiques publiques, et pas seulement dans ceux traditionnellement qualifiés de « culturels ». Cela comprend des secteurs comme l’éducation, la santé, le travail, le développement urbain, le tourisme et la planification environnementale, puisqu’ils entretiennent tous des interactions étroites avec la culture.

    Les données sont concluantes. Les secteurs culturel et créatif génèrent plus de 48 millions d’emplois à l’échelle planétaire, ce qui représente 6,2 % de l’ensemble de l’emploi et 3,1 % du PIB mondial. Au-delà de leurs contributions économiques, ils favorisent le bien-être, l’inclusion sociale et la résilience locale. Ils constituent ainsi de puissants moteurs de développement.

    La reconnaissance de l’importance transversale de la culture ouvre la voie à un meilleur alignement entre culture et ODD, en particulier à l’échelle locale, comme le montrent les trois domaines d’action politique présentés ci-dessous.

    La culture et l’éducation (ODD 4)

    Les villes et les institutions culturelles jouent un rôle primordial pour rendre l’éducation plus inclusive, pertinente et ancrée dans les savoirs locaux. L’un des domaines les plus prometteurs de collaboration intersectorielle réside dans le renforcement des liens entre la culture et l’éducation. À l’heure où les sociétés évoluent rapidement dans l’ère du savoir, les contenus culturels, tel que le patrimoine, les savoirs traditionnels et les histoires locales, offrent un contexte indispensable pour rendre l’éducation plus pertinente et inclusive.

    La Déclaration MONDIACULT 2022 appelle les gouvernements à intégrer la culture dans tous les systèmes d’apprentissage. Les institutions culturelles, telles que les bibliothèques, les musées et les centres communautaires, jouent un rôle clé en facilitant l’apprentissage tout au long de la vie, les échanges interculturels et le partage des savoirs entre générations et entre communautés.

    En soutien à cette vision, les États membres de l’UNESCO ont adopté en février 2024 le Cadre mondial pour l’éducation culturelle et artistique. Ce cadre encourage une collaboration accrue entre les écoles, les municipalités et les acteurs culturels, y compris les membres du Réseau des villes créatives de l’UNESCO, afin de favoriser des expériences d’apprentissage partagées impliquant l’ensemble de la communauté.

    La culture et l’action climatique (ODD 13)

    Les centres urbains recourent de plus en plus à des plateformes culturelles pour orienter les narratifs et mobiliser les communautés autour de solutions climatiques. La Déclaration MONDIACULT 2022 affirme que la culture doit jouer un rôle central dans l’action climatique, non seulement en relayant des messages et en sensibilisant l’opinion publique, mais également en mettant à profit les savoirs écologiques traditionnels et la créativité pour résoudre les problèmes.

    La culture peut contribuer à faire évoluer le débat sur le climat, en passant d’une approche fondée sur les compromis à une approche basée sur des valeurs communes, la mémoire collective et la résilience des communautés. Cette évolution nécessite des investissements soutenus dans la recherche culturelle, l’échange de savoirs et l’innovation. Les villes sont particulièrement bien placées pour mener cet effort. Grâce aux festivals, aux expositions, aux industries créatives et à la planification participative, elles peuvent sensibiliser aux enjeux de mobilité, d’émissions de gaz à effet de serre et de modes de vie durables.

    Tout aussi important, l’art et la culture peuvent inciter les individus à approfondir leur relation avec la nature, tout en cultivant l’empathie et le sens de la responsabilité, ce qui peut se traduire par un soutien à des politiques climatiques ambitieuses. Les savoirs autochtones offrent des modèles percutants : les récits, les cérémonies et les pratiques liées à la terre transmettent les connaissances écologiques d’une génération à l’autre tout en renforçant les liens communautaires avec le territoire.

    Cités autochtones, au Centre national des Arts (CNA), à Ottawa, au Canada, en est un exemple. Présenté en ligne, ce projet de récits audio interprétatifs a été lancé par le Théâtre autochtone du CNA. Par des performances alliant la création parlée, la musique et les paysages sonores, des Aînées et Aînés, des gardiennes et gardiens du savoir et des artistes partagent des histoires ancrées dans des lieux spécifiques, invitant le public à découvrir l’environnement urbain à travers des perspectives autochtones. Ces récits renforcent la compréhension des savoirs écologiques traditionnels, révèlent les histoires multiples ancrées dans le territoire et les lieux, et mettent en lumière les liens essentiels entre culture et environnement.

    Un autre exemple est le projet Indigenous Public Art in Burnaby (en anglais), qui présente des fresques et des installations réalisées par des artistes autochtones à travers la ville. En intégrant les enseignements culturels autochtones et leurs liens avec la terre dans des espaces publics partagés, ces œuvres rapprochent les habitants de leur environnement, et montrent comment l’expression culturelle peut renforcer notre manière de prendre soin du monde naturel.

    La culture et l’économie créative (ODD 8)

    La Déclaration MONDIACULT 2022 soutient également le développement de l’économie créative en tant que vecteur de développement inclusif et durable. Elle encourage les gouvernements à respecter les droits socio-économiques des artistes et des professionnelles et professionnels de la culture, à améliorer leur mobilité et à créer des écosystèmes numériques plus équitables.

    Les responsables politiques locaux tirent parti du pouvoir transformateur de la culture pour soutenir l’ODD 8 en créant des emplois, en encourageant l’innovation et en faisant de leurs communautés des lieux de vie, de travail et d’investissement plus attrayants. Selon l’Organisation de coopération et de développement économique, environ 60 % des dépenses publiques consacrées à la culture et aux loisirs proviennent des niveaux international et local. Ces investissements se traduisent par des festivals artistiques, la promotion de l’entrepreneuriat créatif et le tourisme culturel, autant d’initiatives qui génèrent de l’ emploi et dynamisent l’économie locale.

    La Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et la Recommandation de 1980 relative à la condition de l’artiste représentent des repères fondamentaux pour la mise en oeuvre de ces engagements.

    Prendre l’initiative : utiliser la culture pour changer les normes

    Les villes ne se contentent pas de mettre en œuvre des cadres culturels mondiaux, elles contribuent également à les façonner en affirmant leurs propres programmes de développement culturel. À travers différents réseaux et régions, les responsables municipaux élaborent des outils normatifs, tels que des déclarations, des manifestes et des plans d’action, qui soulignent le rôle essentiel des droits culturels et de la créativité dans la réalisation des ODD. Ces instruments servent de lignes directrices communes et mettent en place des mécanismes de suivi, favorisant à la fois l’action locale et la cohérence internationale.

    Appliquer une perspective culturelle pour relever les défis croissants

    Les villes assument des rôles de premier plan sur la scène mondiale, en affirmant leur volonté de servir de laboratoires pour un développement durable fondé sur la culture.

    En 2024, le Réseau des villes créatives de l’UNESCO a adopté le Manifeste de Braga lors de sa 16e Conférence annuelle, qui s’est tenue à Braga, au Portugal (ville créative en arts médiatiques depuis 2017). En s’appuyant directement sur les principes énoncés dans la Déclaration MONDIACULT 2022, ce manifeste définit des engagements locaux autour de six axes prioritaires :

    • Renforcer les droits culturels individuels et collectifs;

    • Aborder la transformation numérique dans le secteur culturel et créatif, notamment l’intelligence artificielle (IA);

    • Exploiter la culture pour l’action climatique;

    • Exploiter les dimensions économiques de la culture;

    • Protéger le patrimoine culturel en temps de crise;

    • Améliorer les synergies entre culture et éducation.

    Comme l’indique le Manifeste, les Villes créatives de l’UNESCO soutiennent « la protection de la culture et des professionnels de la culture en péril et en situation de crise, grâce à des politiques et des mécanismes qui favorisent la diversité culturelle et la diversité des expressions culturelles, protègent le patrimoine culturel, et facilitent des solutions pacifiques et un dialogue mondial, en renforçant la résilience, et en favorisant une culture partagée pour la compréhension réciproque et la collaboration internationale, contribuant à la réconciliation, à la démocratie, à l’équité, aux droits humains et à la paix, ainsi qu’à la réalisation des Objectifs de développement durable.»

    En 2025, le Réseau des villes créatives de l’UNESCO s’est de nouveau réuni, cette fois à Enghien-les-Bains, en France (ville créative en arts médiatiques depuis 2013), pour discuter de l’influence de l’intelligence artificielle sur les secteurs créatifs et de la manière dont elle peut être mise à profit afin de stimuler l’innovation culturelle, l’inclusion sociale et la transformation durable.

    Aligner les rapports des villes avec la Déclaration MONDIACULT 2022 et les objectifs de l’Agenda 2030

    Une autre avancée concrète est la révision, en 2024, de la structure des rapports périodiques des villes créatives. Le nouveau format rapproche les rapports des objectifs de la Déclaration MONDIACULT 2022 et de l’Agenda 2030 en encourageant les villes à réfléchir davantage à leurs contributions au développement durable et à préciser de quelle manière leurs politiques culturelles s’articulent avec l’action climatique, l’inclusion économique, l’éducation et l’équité sociale.

    Parallèlement, Cités et Gouvernements Locaux Unis (un réseau mondial basé à Barcelone, Espagne) joue un rôle déterminant dans la reconnaissance de la culture comme quatrième dimension du développement durable. À travers son Agenda 21 pour la Culture, la Charte de Rome et d’autres publications majeures, le réseau encouragé les villes à intégrer les droits culturels, la participation et la diversité dans leurs politiques municipales. Il soutient également l’apprentissage entre pairs et le plaidoyer dans les forums internationaux, afin de garantir que les perspectives locales influencent la prise de décisions à l’échelle mondiale.

    Ces efforts collectifs sont en train de redéfinir la manière dont les villes évaluent leurs progrès, non seulement sur le plan économique, mais également au chapitre de la créativité, des droits culturels et du bien-être des communautés. Ils offrent également des modèles concrets que d’autres municipalités peuvent adapter et reproduire.

    La section suivante illustre comment ces principes se traduisent en initiatives locales concrètes.

    Les villes créatives de l’UNESCO en action : études de cas

    Canada

    Ailleurs dans le monde

    La culture doit être reconnue comme un catalyseur de changement

    Les villes sont aux premières lignes de l’innovation culturelle et de l’engagement communautaire. Pourtant, elles sont souvent sous-représentées dans les instances nationales et internationales, notamment lorsqu’il s’agit de définir des politiques en matière de diversité culturelle et de droits culturels. Comme on l’a souligné en 2022 lors d’une journée d’étude organisée par la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles (Université Laval), les municipalités ont habituellement une influence limitée sur les stratégies culturelles provinciales et fédérales, et elles sont largement absentes des forums mondiaux sur les droits de la personne, y compris ceux organisés par les Nations Unies.

    En raison de ce manque d’inclusion, on risque de négliger le rôle important et grandissant des villes dans le soutien au développement culturel inclusif. Cette situation limite aussi la visibilité de certaines des approches communautaires les plus efficaces de la durabilité, à savoir celles qui sont ancrées dans les droits culturels, la créativité et l’appartenance.

    Réaffirmer la culture comme bien public mondial est une étape nécessaire pour combler cette lacune. Cela validerait les contributions des administrations locales et renforcerait l’idée selon laquelle la participation à la culture est non seulement un droit, mais un levier de résilience, d’innovation et de paix.

    De récentes déclarations mondiales font écho à cet appel. Selon la Déclaration des ministres de la Culture du G7 (Italie, 2024) (en anglais), « la culture est une ressource stratégique au service de la croissance économique inclusive, de l’innovation, de la résilience démocratique et du développement durable ». De façon semblable, la déclaration de la campagne Objectif culture 2030 (en anglais), une initiative collective menée par la société civile et réclamant que la culture soit incluse dans les ODD, incite la communauté internationale à « s’assurer que la culture soit reconnue comme un objectif à part entière dans tout futur programme de développement mondial ».

    Débloquer la quatrième dimension du développement durable

    En plaçant les droits culturels au cœur de leurs préoccupations, en investissant dans les secteurs créatifs et en travaillant de façon interdisciplinaire, les villes créent un avenir plus durable, inclusif et imaginatif. Compte tenu du climat géopolitique mondial actuel, les villes et les administrations locales jouent un rôle vital dans la protection des valeurs démocratiques et de la diversité culturelle en plus de garantir la mise en œuvre de réponses inclusives, adaptées aux réalités locales.

    Pour réaliser pleinement le potentiel des villes en tant qu’acteurs du changement et de chefs de file culturels, les gouvernements nationaux, les institutions internationales et les organisations de la société civile peuvent :

    • faire participer activement les villes, les administrations locales et les parties concernées à la conception de politiques culturelles et de développement durable;

    • fournir un soutien direct aux villes créatives de l’UNESCO et une reconnaissance de leurs contributions normatives et pratiques;

    • défendre la culture à titre de dimension transversale du développement mondial en la finançant de façon appropriée, en lui consacrant des recherches et en lui assurant une représentation à tous les niveaux;

    • préconiser des lignes directrices éthiques pour l’usage équitable et responsable de l’IA dans les secteurs culturels.

    Les villes ne sont pas simplement lieux de mise en oeuvre. Elles sont de puissantes forces du changement. Lorsqu’on reconnaît leur leadership et qu’on les dote de ressources, elles arrivent à transformer la manière dont nous imaginons et créons un monde plus équitable.

    À propos de l’auteure

    Ivana Otašević est la directrice adjointe et coordonnatrice de la Chaire UNESCO sur la diversité des expressions culturelles. Elle est titulaire d'un doctorat en droit et est chargée de cours à la Faculté de droit de l'Université Laval.

    Cette publication a été rédigée en collaboration avec Barbara Filion, professionnelle des arts, de la culture et des politiques autochtones.